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Comment devenir une organisation apprenante ? Guide complet
Face à l’évolution rapide des métiers et la pénurie de candidats, les entreprises ont plus que jamais conscience de la valeur des compétences de leurs collaborateurs. Pour 81 % des directeurs des ressources humaines, le développement des compétences fait partie des priorités dans la politique de gestion des talents. Les DRH citent également l’engagement et la fidélisation des salariés comme des enjeux clés.
Du côté des collaborateurs, la perception est identique et l’on note une envie de se mobiliser pour sécuriser son parcours professionnel. Ainsi, 86 % des actifs estiment nécessaire de se former pour conserver leur employabilité et 90 % pour répondre aux défis d’un monde du travail en pleine mutation.
La formation professionnelle, incontournable pour monter en compétences, joue un rôle capital dans les performances individuelles et, plus généralement, dans la croissance et la pérennité de l’entreprise. Le challenge consiste à ancrer l’apprentissage dans les réflexes des collaborateurs au quotidien. Pour cela, un nouveau cadre est nécessaire, celui de l’organisation apprenante.
L’ADN de l’organisation apprenante : un savoir valorisé et décloisonné
Une organisation apprenante est par définition en mouvement permanent. Le principe : apprendre en continu pour anticiper et s’adapter aux changements (mutation des pratiques et des modes de travail, montée en puissance de l’intelligence artificielle…).
Une organisation apprenante “embarque” l’ensemble des collaborateurs. Elle fait vivre l’apprentissage collaboratif, incite à s’enrichir intellectuellement en s’appuyant sur les compétences internes. La circulation des savoirs sort de sa verticalité (de l’enseignant vers l’apprenant) et n’a désormais plus de limites : chaque salarié a une expertise, une expérience, des idées, une vision à partager et à valoriser. De plus, l’erreur n’est plus pointée du doigt mais, au contraire, considérée comme un levier d’apprentissage.
ll s’agit en d’autres termes de décloisonner l’accès au savoir en cassant les méthodes traditionnelles. Les sessions définies à l’avance, sources de contraintes pour une (grande) partie des employés, sont remplacées par des temps de formation choisis par les collaborateurs, en fonction de leurs besoins immédiats et de leurs disponibilités. En outre, l’apprentissage informel est valorisé et des formes d’enseignement diversifiées sont mises en place : mentorat, digital learning, conférences, séminaires, groupes de discussion…
D’une telle culture d’entreprise découle une capacité nouvelle à innover, à inventer. La créativité est décuplée ; la réactivité et la flexibilité face à des situations complexes ou imprévisibles se voient quant à elles optimisées. Ajoutons que l’organisation apprenante repose sur des collaborateurs épanouis et impliqués mais aussi sur un certain nombre de valeurs, telles que le partage, la collaboration, l’émulation ou encore la curiosité.
Les dynamiques de l'organisation apprenante selon l'auteur Peter Senge
Pour transformer son entreprise en organisation apprenante, il faut connaître et comprendre le modèle de Peter Senge. Ce professeur américain, qui exerce au prestigieux MIT Sloan School of Management, s’est fait connaître au début des années 1990 avec son ouvrage “The Fifth Discipline: The Art and Practice of the Learning Organization” ("La cinquième discipline" dans sa version française), dans lequel il théorise l’organisation apprenante. Un concept qu'il avait développé avec Chris Argyris, ancien chercheur en sciences sociales et professeur à l'université d'Harvard.
Pour Peter Senge, le développement d’une organisation apprenante repose sur la présence et la combinaison de ce qu’il appelle des disciplines. Au nombre de 5, elles conditionnent l’émergence et l’épanouissement d’une entreprise apprenante. Il s’agit de :
- La maîtrise personnelle.
- Les modèles mentaux.
- La vision partagée.
- L’apprentissage en équipe.
- La pensée systémique.
Maîtrise personnelle et modèles mentaux
La maîtrise personnelle reflète l’état d’esprit dont l’individu doit faire preuve pour rendre viable l’organisation apprenante. Il se matérialise par une analyse objective de ses compétences, par une vision claire de la réalité et par un désir permanent d’apprendre de ses pairs. Les modèles mentaux font référence aux représentations que l’individu construit au contact des autres membres de l’organisation. Cette discipline l'amène à reconnaître ses propres schémas mentaux et à accepter ceux des autres. L’objectif est d’acquérir suffisamment de souplesse pour construire un modèle mental commun au groupe.
La maîtrise personnelle et les modèles mentaux sont liés à la dynamique interne. Pour s'épanouir, ils impliquent un travail sur soi. L'objectif final est de clarifier les aspirations de chacun. C'est sur cette base que les deux disciplines suivantes se développent.
Vision partagée et apprentissage en équipe
La vision partagée correspond à la capacité des individus à se retrouver autour d’une destinée, d’un devenir commun. Cette vision s’apparente à un élan naturel, source d’un engagement et d’une adhésion individuels au projet collectif. Il en découle une quatrième discipline : apprendre en équipe. Cela revient à faire vivre l’intelligence collective. Autrement dit, en apprenant ensemble, les résultats du groupe dépassent la somme des résultats qu’auraient pu atteindre ses membres individuellement. La vision partagée et l’apprentissage en équipe donnent naissance à la capacité d’engager des conversations réflexives, un marqueur de l'organisation apprenante.
Pensée systémique
Enfin, la pensée systémique complète le modèle : c’est elle qui chapeaute et orchestre la mise en œuvre de toutes les autres disciplines. Elle assure l’interaction entre chacune d’elles ; elle est garante de la pérennité du système d’organisation apprenante. La pensée systémique permet de comprendre les phénomènes dans leur intégralité et leur complexité. Elle constitue ainsi un levier d’amélioration permanente. Elle est formée de théories, de méthodes et d’outils garantissant une gestion optimale de la conduite du changement sur le long terme. Par exemple, dans ce type de pensée, le reproche n’est pas le bienvenu, car chacun est cause de ses problèmes. Autre principe : choisir la solution de facilité ramène toujours au problème initial et freine la créativité.
L'organisation apprenante rompt ainsi avec les principes traditionnels et des réflexes souvent ancrés dans le comportement des individus.
Devenir une organisation apprenante : avantages et enjeux
Des collaborateurs plus engagés
Une forte demande de développement des compétences émane des salariés. De plus, près des trois quarts d’entre eux pensent que l’entreprise a un rôle important à jouer dans leurs parcours de formation professionnelle. Une organisation pleinement investie dans ce domaine suscite donc un sentiment de reconnaissance et favorise une excellente expérience collaborateur. Mis naturellement en situation de s’instruire et de renforcer ses compétences, le salarié comprend qu’une grande confiance lui est accordée et qu’il est libre de mettre à profit ses nouveaux savoirs.
Ajoutons qu’un personnel parfaitement formé se montre confiant dans ses capacités. Les défis professionnels sont plus que jamais une source de motivation. De plus, une circulation active des savoirs renforce les liens entre collègues et contribue à créer une ambiance de travail saine et stimulante. Réunis autour de mêmes valeurs, les salariés développent des réflexes de cohésion et de collaboration. Un sentiment d’appartenance à l’entreprise se crée. À l’engagement collaborateur fait donc écho une fidélisation des talents.
Des entreprises plus compétitives
La compétitivité d’une entreprise se joue sur sa capacité à répondre aux attentes du marché et à anticiper ses besoins en compétences. Dans ce cadre, l’organisation apprenante se démarque. D’une part, la culture d’apprentissage développée par l’entreprise permet de maintenir à jour les compétences individuelles et collectives, gage d’une adaptation optimale aux enjeux présents et à venir. D’autre part, stimuler l’acquisition de savoirs et de savoir-faire, rendre possible l'expérimentation et valoriser le partage d’idées favorisent l’émergence de solutions nouvelles, boostent la créativité et l’innovation. Plus agile, plus réactive, l’organisation apprenante montre de meilleures capacités à faire face aux changements.
En synthèse : plus une organisation apprend vite, plus elle accroît son avantage concurrentiel. Peter Senge affirme ainsi dans “The Fifth Discipline” : “Une organisation apprenante est une organisation qui développe continuellement sa capacité à créer son avenir.”
Comment construire une organisation apprenante
Adopter les piliers de l’organisation apprenante
Instaurer une culture d’apprentissage au sein de l'entreprise, autrement dit devenir une organisation apprenante, impose de changer de paradigme. Standardisation des processus, management directif, méthodes de travail normées, tâches parfois routinières : ces caractéristiques assez classiques du travail en entreprise cèdent la place à un fonctionnement plus souple, basé sur une dynamique d’apprentissage permanent. Les salariés jouissent d’une autonomie nouvelle dans les méthodes et le rythme de travail, ont une vision plus globale de l’activité en collaborant avec des collègues de différents services.
De plus, une organisation apprenante offre des possibilités d’exploration et conduit à prendre des risques. À la clé : un sens de l’innovation aiguisé, nous l’avons dit, une plus grande capacité à effectuer des tâches complexes et à s'adapter au changement, mais aussi un renforcement du bien-être des salariés grâce à la reconnaissance de leur valeur et de leurs idées.
Une vision nouvelle de l’entreprise
Conduire sa transition vers l'entreprise apprenante implique de revoir son modèle organisationnel. Pour y parvenir, plusieurs critères doivent être réunis :
- Une volonté assumée de la direction.
- Une vision claire des objectifs à atteindre, transmise par des encadrants au leadership incontesté.
- Un renouvellement des pratiques managériales, avec notamment une décentralisation des décisions et la mise en avant d’une philosophie basée sur l’équité et la confiance.
L’envie d’apprendre est impulsée d’en haut puis embarque l’ensemble du personnel. Cette évolution culturelle impose à la hiérarchie d’encourager les collaborateurs à gagner en compétences. Il incombe également aux managers de donner à ces derniers les moyens d’apprendre.
Promouvoir, communiquer en interne autour des valeurs de l’organisation et du désir de voir les employés s’épanouir à travers le développement de leurs savoirs : une nécessité, également, pour créer une cohésion à l’échelle de l’organisation.
Un apprentissage à tous les niveaux
La formation professionnelle est dans l’ADN de l’organisation apprenante. Elle doit évoluer au gré des attentes des collaborateurs (flexibilité, autonomie) et des innovations pédagogiques et technologiques (social learning, microlearning, learning in the flow of work, etc.). Au-delà de la formation, les situations de travail sont également exploitées à des fins d’apprentissage. L’organisation apprenante s’appuie sur l'activité professionnelle quotidienne, le travail en réseau, les échanges et la communication transversale pour progresser.
Apprentissage individuel et apprentissage social s’imbriquent pour former une culture d’apprentissage originale et impactante. Le principe de co-construction du savoir devient la norme et engage l’ensemble des collaborateurs vers un renforcement des compétences.
Le partage de connaissances et l’esprit collaboratif
Le partage de connaissances et l’esprit collaboratif apparaissent naturels dans une organisation apprenante. Des projets multidisciplinaires se mettent en place. Le management vertical s’efface au profit d’un management de proximité, marqué par le soutien, des feedbacks enrichissants et laissant libre cours aux initiatives de chacun.
Autre point important à mentionner : la transformation digitale des entreprises favorise l’implantation d’une culture d’apprentissage en stimulant le travail collaboratif Sur le plan technique en effet, le développement et l’optimisation des outils collaboratifs sont d’une aide précieuse pour renforcer les échanges et valoriser les compétences. Les outils de gestion de projet en ligne et les plateformes de communication collaborative accélèrent la transition vers l’organisation apprenante.
Un nouveau système d’évaluation
À l’apprentissage en continu fait écho une évaluation en continu. L’organisation apprenante évolue sans cesse en capitalisant sur ses points forts et en corrigeant ses points faibles.
Dans ce cadre, le système d'évaluation repose sur une nouvelle méthodologie et la mise en relation d’une diversité de sources d’informations, en particulier : feedbacks et suggestions des apprenants, échanges réguliers avec les managers (entretiens individuels, discussions informelles) et bilan détaillé des formations.
L’évaluation ne doit plus être vue comme un moyen de contrôle, voire de sanctions, mais comme un axe d’amélioration utile individuellement et collectivement. L’ouverture d’esprit et la confiance mutuelle sous-tendent la valorisation de l’apprentissage.
Miser sur la formation
Devenir une organisation apprenante, c’est développer ses ressources humaines au maximum de leur potentiel et faire de la formation un levier de performance. Un vrai challenge pour les entreprises. Développer et enraciner une culture d’apprentissage demandent du temps ainsi qu’un engagement sur plusieurs axes de travail.
Il est nécessaire de s’investir dans un programme concret avec une approche participative et évolutive. Les projets doivent bien entendu se “caler” sur les besoins de l’entreprise et de ses collaborateurs. Pour réussir sa transition vers l’organisation apprenante, l’entreprise doit faire de la formation un réel levier de performance.
Identifier les objectifs d’apprentissage de l’entreprise
Que souhaite accomplir l’entreprise grâce à l’apprentissage continu de ses salariés ? Où veut-elle aller, quelle vision adopter ? Dans quelle mesure le développement des savoirs est-il capable de soutenir la croissance et la compétitivité ? Quels points faibles ou lacunes cette dynamique doit-elle corriger ? Ces questions constituent le point de départ de tout processus de transformation de ses dispositifs de formation.
Les objectifs peuvent être de différents ordres : combler un skill gap important, faire face à un changement majeur touchant le secteur d’activités de l’entreprise, faire évoluer un produit, améliorer la qualité du service client, etc.
Une bonne pratique consiste à s’appuyer sur un diagnostic organisationnel et managérial, et ce afin d’identifier les forces et les faiblesses de l’apprentissage individuel et collectif.
Concevoir des supports de formation adaptés
Une fois les objectifs déterminés, il faut explorer les possibilités en matière d'organisation de la formation. L’idée est de sortir d’un cadre classique, avec des horaires fixes et des sessions souvent longues, notamment en présentiel. Insuffler une culture de l’apprentissage, c’est favoriser une appropriation par le collaborateur de ses temps de formation et lui fournir les moyens de s’informer quand il le souhaite.
Pour obtenir l’adhésion des salariés, il convient :
- De créer des contenus répondant à leurs besoins.
- De s’adapter à une demande de flexibilité et d’autonomie, en particulier en développant la formation en ligne.
- D’améliorer les formations à partir des commentaires, idées, points de vue et feedbacks des apprenants.
- De faciliter l’accès aux ressources, l’idéal étant de se doter d’un LMS (Learning Management System) évolutif et simple d’utilisation.
- De varier les formats d’apprentissage.
- De mettre en avant le microlearning et le learning in the flow of work (apprentissage dans le flux de travail). Ainsi, par le biais de séquences de formation de quelques minutes, accessibles à tout moment depuis son environnement de travail, le salarié fait entrer l’apprentissage dans son quotidien.
S’orienter vers la formation interactive et collaborative
Axes porteurs d’un fort engagement collaborateur et d’une véritable culture de l’apprentissage : la formation interactive et collaborative. Le premier intérêt est de passer d’un apprentissage passif (l’apprenant écoute un “sachant” et n’intervient que pour poser des questions) à un apprentissage actif. Le deuxième intérêt est d’assurer un investissement maximal des collaborateurs : plus impliqués dans leur formation, en lien constant avec leurs pairs et stimulés par différentes activités (mises en situation réelles, simulations, challenges à relever, travaux de groupe…), ils intègrent plus naturellement des temps de formation à leur journée de travail.
Le social learning et le travail collaboratif occupent une place centrale dans une organisation apprenante, car chacun apprend de l’autre. Il est possible de structurer cet échange de compétences en développant le peer coaching (chaque collaborateur devient le coach d’un de ses collègues), le peer-to-peer learning (les salariés créent eux-mêmes des contenus de formation) ou encore le mentorat (relation privilégiée entre un mentor, généralement un collaborateur expérimenté, et un mentoré).
Étendre la formation à toute l’entreprise
Une erreur à éviter à tout prix : ne “convertir” qu’une partie de l’entreprise à la philosophie de l'organisation apprenante. C’est bien l’ensemble de la structure, ses fondements même, qui sont concernés. Il est bien sûr possible que certains services aient besoin de plus de temps pour adopter ce nouveau modèle. Il convient dès lors d’adapter son approche, d’avancer pas à pas pour faire de l’apprentissage une réalité au quotidien.
Voici quelques actions à mener pour favoriser la participation de l'ensemble des collaborateurs au projet :
- Déterminer les points bloquants à la montée en compétences. Les indicateurs clés fournis par un LMS tel que Rise Up sont à ce titre d’une grande aide.
- Comprendre pourquoi la formation a moins de prise sur certaines équipes. Mener des enquêtes d’engagement apprenant s'avère dans ce cadre très utile.
- Adopter un discours convaincant auprès des managers.
Favoriser la mobilité professionnelle interne
Même si, dans son essence, l’organisation apprenante dépasse les destinées individuelles pour se concentrer sur un devenir collectif, il n’en reste pas moins que les collaborateurs voient dans celle-ci le cadre idéal pour évoluer professionnellement. Grandir au sein de l’entreprise grâce au savoir acquis, pouvoir concrétiser sa montée en compétences par un poste convoité ou une réorientation, tout en restant auprès de son employeur, sont bien sûr sources de motivation.
Une organisation apprenante attirera et fidélisera ses talents si elle favorise la mobilité professionnelle. Par nature souple, évolutive, réactive aux évolutions du marché et des besoins internes, l’entreprise apprenante doit montrer un vrai engagement en faveur de l’épanouissement professionnel de ses salariés.
Sources :
Baromètre des DRH 2024, réalisé par WTW, ABV Group et RH&M.
Baromètre de la formation et de l'emploi 2024, réalisé par Centre Inffo et CSA.